Au chômage, des ouvriers de l’aéronautique produisent des pièces pour respirateurs
Ils vont à l’usine pour sauver des vies. Sur les hauteurs d’Herstal, Safran Aero Booster fabrique habituellement des pièces de moteurs d'avions. Depuis mi-mars, les travailleurs sont en chômage avec complément de salaire. Tous ? Non. Quelques volontaires viennent encore à l’usine, pour fabriquer des pièces de rechange pour les respirateurs dont les hôpitaux ont besoin. Rencontre avec Stefano Scibetta, délégué syndical FGTB (fédération syndicale socialiste) Métal.
« Quand le gouvernement a annoncé les mesures de confinement, la direction a convoqué un conseil d’entreprise extraordinaire », raconte Stefano Scibetta. « Elle a expliqué que pour satisfaire les clients, respecter les délais de livraison et ne pas s’exposer à des pénalités, bref, pour le bien de l’entreprise, il fallait continuer à travailler. »
Une situation que les ouvriers n’ont pas laissé passer : « Il y avait une contradiction entre la directive du gouvernement de confinement généralisé afin de ne pas provoquer un pic dans les hôpitaux et la présence de 1 600 travailleurs sur le site de Safran. » Comment en effet garantir la santé des travailleurs et de leurs proches dans ces conditions ? Ceux de Safran ont obtenu gain de cause : « puisque notre entreprise ne produit rien de vital pour lutter contre le coronavirus, nous avons insisté pour que l’usine ferme deux semaines. En plus, dans les ateliers le personnel était nerveux et avait peur des risques de contamination. Notre pression a fonctionné : nous avons pu imposer la mise à l’arrêt temporaire de l’usine », explique le délégué principal.
Tout le monde est donc rentré à la maison ?
Stefano Scibetta. Pas tout à fait. Suite à l’appel des hôpitaux, une équipe d’ingénieurs, d’ouvriers et de techniciens se sont mis ensemble pour produire avec nos machines des pièces de rechange pour les respirateurs : des débitmètres. Ce sont des éléments de respirateurs artificiels qui se changent après chaque usage, et donc les hôpitaux sont en pénurie.
Des ingénieurs ont fait les plans. Puis des programmeurs ont calibré les machines. Et après les trois jours de congé, la direction a demandé aux délégations syndicales de pouvoir faire revenir des ouvriers pour produire des débitmètres et des visières de protection. Evidemment, nous avons tout de suite répondu positivement. Nous avons bien sûr la volonté de participer à sauver des vies. On a fait un premier échantillonnage de 100 pièces pour les tester, et maintenant la production tourne.
Concrètement, combien de travailleurs sont mobilisés pour cette production ?
Stefano Scibetta. Maintenant que les machines sont calibrées, on a une dizaine de travailleurs qui font fonctionner l’imprimante 3D, contrôlent les pièces, les mesurent. Il faut aussi des magasiniers pour assurer la logistique.
Ensuite, la maison mère a demandé s’il était possible de faire revenir une partie des travailleurs pour relancer une production minimum. Il faut savoir qu’en France, où est la maison mère, les usines du groupe tournent. Pourtant, le nombre de malades n’arrête pas d’augmenter. Nos camarades là-bas font le forcing pour arriver à confiner tout le monde.
Mais ici, nous avons un peu durci le ton. Nous avons juste accepté que 15 ouvriers reviennent sur le site, avec toutes les précautions sanitaires, des gants, des masques, du gel hydroalcoolique, les distances, pour achever 4 moteurs qui étaient prêts à être livrés. Pour le reste, nous sommes inflexibles: l’essentiel maintenant est d’aider les hôpitaux, pas de produire des moteurs d’avions.
Ceci dit, en étant au chômage temporaire les travailleurs perdent de l’argent ?
Stefano Scibetta. C’est pour ça que nous avons entamé une négociation. La direction a proposé trois jours de congés payés supplémentaires avant d’inscrire le personnel en chômage temporaire pour force majeure. Nous avons déjà connu pas mal de chômage depuis le début de l’année, suite aux difficultés chez le constructeur d’avions Boeing [une partie du moteur du Boeing 737 Max, dont la production est à l’arrêt depuis des mois, est construite à Herstal, NdlR]. Nous avons donc réclamé un complément aux allocations de chômage. Au départ, la direction ne voulait pas payer un complément pour arriver à 100 % du salaire. Elle disait que ce n’était pas normal que les ouvriers gagnent autant à ne rien faire qu’en travaillant. De notre côté, nous estimions qu’en dix ans, nous avions produit de la richesse, et il est normal que cette richesse revienne, en partie, aux travailleurs. Finalement, nous avons conclu un accord qui prévoit un complément jusqu’à quasi 90 % du salaire. Et cet accord a été prolongé jusqu’au 19 avril, puisque le gouvernement a prolongé les mesures de confinement.