« Nous sommes plus que des femmes de ménage »
Un pain par mois. C’est ce que le patronat daigne « offrir » aux 140 000 aides-ménagères qui travaillent dans le secteur des titres-services. Une nouvelle preuve de mépris. Elles répondent donc par l’action. Le 28 novembre dernier, c’était la première action d’un long combat des aides-ménagères, à Bruxelles.
« Il est vraiment temps de montrer que nous sommes aussi quelqu’un, pas “seulement” une femme de ménage. Nous sommes plus que cela. » Gina Verbeke, 55 ans, travaille chez Greenhouse, à Waregem. Une société de nettoyage qui emploie 3 000 personnes. La déléguée syndicale CSC (syndicat chrétien) continue : « A mon âge, les choses deviennent très difficiles physiquement. Quand je rentre à la maison le soir, je suis vraiment épuisée. Je suis seule et les salaires sont vraiment très bas. Je ne peux pas travailler à temps plein parce que ça devient difficile et je veux éviter de tomber malade. Je ne peux pas me permettre de passer quelques mois à la maison. C’est de la survie. »
Sa collègue carolo Amandine Staelens, déléguée FGTB (syndicat socialiste) : « C’est un métier très pénible. J’ai 38 ans et j’ai déjà des problèmes de dos… »
Un métier très pénible qui concerne surtout les femmes. Le secteur des titres-services compte en effet 98 % de travailleuses. Des travailleuses invisibles. Invisibles pour une société qui a intérêt à ce qu’elles restent dans l’ombre pour ne pas trop faire entendre leur volonté de valorisation salariale, de conditions de travail, ou de valorisation tout court.
Des travailleuses vulnérables
La plupart du temps, ces femmes sont seules sur leur lieu de travail. Ce qui fait qu’elles sont plus vulnérables en terme de harcèlement sexuel. Et plus vulnérables en terme d’oppression économique. Comment en effet revendiquer collectivement des droits lorsqu’on est seule sur le lieu de travail, employée par une firme où on ne met jamais les pieds et qui nous envoie chez des particuliers ou des entreprises ? Les travailleuses du secteur se battent contre une oppression multiple. Oppressées parce que travailleuses dans un système basé sur l’exploitation des travailleurs et des travailleuses. Oppressées parce que femmes dans un système où elles gagnent en moyenne 20 % de moins que les hommes en Belgique et où elles sont nombreuses à devoir travailler à temps partiel (44 % des femmes sont concernées, contre 11 % des hommes).
Sans compter qu’en plus de toutes les difficultés liées à leur travail et à leur genre, les aides-ménagères doivent bien souvent faire une double journée : en rentrant chez elles après les heures de travail (mal) rémunéré, elles enchaînent avec plusieurs heures de travail à (leur) domicile.
La lutte de ces travailleuses est donc titanesque, mais elles n’ont pas le choix. La majorité des aides-ménagères du secteur gagnent entre 800 et 1 000 euros net par mois. Quand on est une mère isolée, ce qui est souvent le cas dans ce secteur, vivre sous le seuil de pauvreté est intenable. « Même avec un temps plein, on ne s’en sort pas. Cela fait 13 ans que je travaille comme nettoyeuse. Mon salaire est de 11,74 euros brut de l’heure. Il n’augmente pas. Mon mari est prépensionné. Les fins de mois sont difficiles. Mais qu’est-ce que ça va être une fois que je serai pensionnée ? J’ai été voir sur le site mypension.be. Je vais toucher 600 euros et quelques par mois… » témoigne Claudine, nettoyeuse montoise.
Le 28 novembre dernier, les aides-ménagères ont décidé de mener une journée d’actions, dont un rassemblement à Bruxelles. Une première. Réussie. Et ce n’est pas une mince victoire. Qui n’est en fait qu’une étape vers l’objectif de l’augmentation salariale, donc, mais aussi du respect. « Nous réclamons la décence. Nous ne sommes pas du tout reconnues, alors que nous méritons le respect, comme tout le monde… », continue Claudine.
Sortir de l’ombre
« Ces travailleuses méritent tout notre soutien, elles méritent le respect dont elles sont privées, explique le président du PTB Peter Mertens. C’est aussi pour cela qu’elles se battent. Dans notre société, des gens travaillent dans l’ombre. On fait tout pour qu’on ne les voit pas. Ces travailleuses nettoient des maisons pour un salaire ridicule de 11,50 euros brut de l’heure. Et quand elles demandent une augmentation de 1,1 %, comme prévu par l’Accord interprofessionnel (AIP, accord négocié entre syndicats et patronat), leurs employeurs leur disent non. C’est aussi la conséquence de la commercialisation des titres-services en 2004 par le ministre de l’Emploi de l’époque, Franck Vandenbroucke (sp.a, social-démocrate). Depuis, quelques grandes boites dominent le marché. Et elles font beaucoup d’argent sur le dos de ces travailleuses. J’ai encore lu dans la presse que Start People avait distribué 18 millions d’euros à ses actionnaires l’année dernière. Ce qui est réjouissant aujourd’hui, c’est que les travailleuses en action viennent des trois Régions du pays. Il faut en finir avec ce système. »
Député fédéral depuis mai dernier, Peter Mertens en a profité pour interpeller au Parlement la ministre de l’Emploi Nathalie Muylle (CD&V, démocrate-chrétien) sur le sujet. Réponse de celle-ci : « J’espère qu’un accord sera trouvé rapidement entre patrons et syndicats sur cette augmentation d’1,1 %. Je trouve que cette demande est légitime et, au sein de mes services, le soutien nécessaire leur sera dès lors apporté. »
Tant que l’augmentation ne sera pas effective, que les conditions de travail ne seront pas meilleures, et que ces travailleuses ne seront toujours pas respectées, leur combat continue.
R-E-S-P-E-C-T
Un combat qui se mène partout dans le pays. Les aides-ménagères vivent les mêmes problèmes, qu’elles viennent de Mons, Liège, Anvers ou Bruxelles. Elles sont fières de mener ce combat ensemble, du Nord au Sud du pays, rouges et vertes.
Pour les aides-ménagères, cette lutte dépasse donc l’exigence d’une augmentation salariale (« même si c’est la première urgence »). « R-E-S-P-E-C-T, find out what it means to me » (« Respect, trouve ce que cela veut dire pour moi ») chantait Aretha Franklin. Un message que les aides-ménagères ont envoyé clairement au patronat en cette fin d’année 2019.