Face à un monde qui bascule et à la montée du militarisme européen : pourquoi la paix et le socialisme sont importants aujourd’hui
Voici le discours de David Pestieau, directeur politique du Parti du Travail de Belgique (PTB-PVDA), prononcé lors de la séance plénière au Forum Européen de Vienne.
Bonjour, chers amis, chers camarades,

On ne peut parler du militarisme en Europe sans reconnaître que les fondations mêmes de notre monde semblent se déplacer sous nos pieds. Nous vivons une période de crises convergentes : le retour de Donald Trump, ses clones en Europe, l'escalade de la militarisation à travers l'Europe, et la menace d'une guerre mondiale.
Comme le décrit notre secrétaire général, Peter Mertens, dans son livre Mutinerie : « le monde bascule ». Ce monde qui bascule, en particulier en Europe, requiert notre analyse, notre compréhension et, surtout, notre action.
L’ordre mondial en mutation et de nouveaux champs de bataille
Le changement le plus fondamental concerne le centre de gravité de l'économie mondiale. Celui-ci se déplace résolument vers l'Asie, et plus particulièrement vers la Chine. Pour la première fois, la Chine défie véritablement les États-Unis d’Amérique. Il s'agit d'un défi de taille, et la friction qui en résulte signifie que les plaques tectoniques sont en contact les unes avec les autres, créant des chocs plus importants que tout ce que nous avons connu au cours des trois dernières décennies.
Ces tournants ne sont pas uniquement dus à la concurrence entre grandes puissances ; ils sont fondamentalement liés à l'évolution rapide des technologies. Nous sommes au cœur d'une double transition : l'une vers la production sans énergie fossile, et l'autre vers l'intelligence artificielle. Cette double transition remodèle les industries, redéfinit les chaînes d'approvisionnement et modifie la nature même du travail.
Ces changements technologiques dépendent de technologies cruciales telles que les batteries et les semi-conducteurs, ainsi que des matériaux essentiels nécessaires à leur production. Ces éléments créent de nouveaux champs de bataille. L'Occident est confronté à une dure réalité : la dépendance de l'Europe et des États-Unis à l’égard de la Chine pour ces minéraux essentiels est considérable, puisque près de 95 % des importations proviennent de sources chinoises.
Cette course aux ressources a des conséquences partout. Même la tragique guerre en Ukraine a une dimension de ressources : les États-Unis ont en effet conclu un accord sur les matières premières en échange de leur soutien. Le Groenland, avec ses importants gisements de lithium et ses terres rares, est en train de devenir un enjeu géopolitique.
Cette vision se manifeste clairement dans la politique étrangère du gouvernement Trump. Camarades, c'est tout simplement de l'impérialisme et du néocolonialisme.
L'impérialisme entraîne inéluctablement une période de guerre, et celle-ci est déjà à nos portes. Voyez l’Ukraine. Voyez la bataille pour le contrôle du lithium en Amérique latine et du cobalt en Afrique. Voyez le génocide en Palestine. Voyez les bombardement étasuniens illégaux de navires au large des côtes du Venezuela.
La menace de guerre n'est pas une menace hypothétique ; elle est déjà une réalité écrasante. Nous nous trouvons au commencement d'une nouvelle phase de guerre, et cette phase est menée par les États-Unis.
Des armes plutôt que du beurre : l'alignement et la militarisation de l'Europe
En réaction à ce changement sans précédent, l'Union européenne a fait le choix d’appliquer une économie de guerre et de s’aligner sur les États-Unis. Avant même l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a clairement fait entendre que l'UE devait devenir un « acteur géopolitique » majeur, et qu’elle devait « apprendre à parler le langage de la puissance ». Depuis la guerre en Ukraine, « l'économie de guerre » est devenue le principal slogan de l'Union européenne.
Les États membres de l'UE dépensent aujourd'hui 326 milliards d'euros pour l'armement, ce qui représente près de 2 % du PIB européen. Ces dépenses ont doublé ces dix dernières années. Cela fait donc déjà une décennie que l’Europe se réarme, et elle prévoit d’intensifier considérablement ses efforts dans les années à venir.
Récemment, le chancelier allemand, Friedrich Merz, a déclaré que nous n’étions pas encore en guerre, mais que nous n’étions « plus en paix ». L’Allemagne connaît une forte impulsion politique pour regagner sa grandeur, se militariser et être « prête pour la guerre ». Elle est déjà le quatrième pays au monde qui dépense le plus pour la défense.L'Union européenne a annoncé un plan de militarisation de l'UE s’élevant à 800 milliards d’euros dans un programme baptisé « Préparation à l’horizon 2030 ». Celui-ci est en partie financé par la dette et par le pillage des fonds sociaux et climatiques existants. Son objectif explicite est de positionner l'UE politiquement et de permettre des interventions militaires en dehors de l'Europe.
En février 2024, l'UE a déployé des navires de guerre au Moyen-Orient. L'objectif déclaré était de garantir le « libre passage » dans la mer Rouge et le golfe d'Aden, afin de protéger les routes commerciales. Il est important de noter que cette mission n'avait pas pour but de faire pression sur Israël en ce qui concerne le génocide à Gaza. En outre, les missions militaires de l'UE au Sahel, souvent sous le couvert de promouvoir la « stabilité », ont en fait conduit à davantage d’instabilité. Cela indique clairement que la politique de l'UE est guidée par des intérêts liés aux matières premières, aux routes commerciales et aux sphères d'influence, et qu'elle ne se préoccupe en aucun cas des droits humains, de la paix ou de défendre véritablement notre territoire.
L’été de l'humiliation pour l’Europe
Puis vint l'été de l'humiliation pour l'Europe, où l'Union européenne s'est honteusement alignée directement sur Donald Trump.
Tout d'abord, il y a eu le sommet de l'OTAN à La Haye à la fin du mois de juin. Le président des États-Unis y a imposé la norme Trump : la norme de 5 % du PIB à consacrer à l'armée pour tous les membres de l'OTAN. Les questions sociales et l'urgence climatique doivent être reléguées au second plan. Le mandat est clair : s'armer, s'équiper, acheter des armes - beaucoup d'armes, et vite. Notre ministre de la Guerre, Theo Francken, a affirmé comprendre la demande de Trump, car « les États-Unis doivent se concentrer sur la zone indo-pacifique » (comprendre : la Chine) et « nous devons assumer notre part pour le flanc oriental de la zone de l'OTAN » (comprendre : la Russie).
Le coût de cette militarisation sévère est répercuté directement sur la classe travailleuse. Comme Mark Rutte, secrétaire général de l'OTAN, l'a déclaré sans ambages aux membres du Parlement européen : « De manière générale, dépenser plus pour la défense signifie dépenser moins pour d'autres priorités. » M. Rutte sait exactement où trouver l'argent. Il a souligné : « En moyenne, les pays européens consacrent jusqu'à un quart de leur revenu national aux pensions, aux soins de santé et à la sécurité sociale. Nous n'avons besoin que d'une petite partie de cet argent pour renforcer la défense. »
Le chef de l'OTAN dit explicitement aux parlementaires que l'argent destiné aux pensions, aux soins de santé et à la sécurité sociale devrait plutôt servir à la guerre. Un économiste a calculé à la télévision publique belge que le montant demandé pour respecter la norme des 5 % correspond à peu près à une réduction de 20 % de toutes les pensions. Ainsi, la norme des 5 % est devenue une version militariste de la norme de Maastricht, une corde au cou de la classe travailleuse.
Deuxièmement, à la fin du mois de juillet, il y a eu l'accord sur les tarifs douaniers entre Mme von der Leyen et M. Trump - ou plutôt, la soumission complète de l'Europe aux États-Unis. Les conditions stipulent que les capitaux étasuniens peuvent exporter gratuitement vers le marché commun européen. Par ailleurs, les entreprises basées dans l'UE qui souhaitent accéder au marché intérieur des États-Unis doivent s'acquitter de taxes à l'importation de 15 %. Pour couronner le tout, l'Europe doit s'engager à acheter aux États-Unis, pour des centaines de milliards de dollars, des armes et du gaz naturel liquéfié, coûteux et polluant.
Enfin, il y a eu la photo dévastatrice de la fin du mois d'août, montrant les dirigeants européens réunis dans le bureau ovale de la Maison Blanche, Trump leur faisant la leçon comme un père grondant ses enfants. Il est clair que les dirigeants européens courent après Trump, et c'est une très mauvaise chose.
Démystifier le keynésianisme militaire
Selon nos dirigeants, cette militarisation va contribuer à relancer nos économies.
L'argument selon lequel l'augmentation des dépenses militaires stimule l'économie est un « indémodable » de l'industrie militaire, qui tente de qualifier cela de « keynésianisme militaire ». Ils veulent à tout prix que les gouvernements soutiennent massivement l'industrie de l'armement. Alors que le secteur automobile européen est en difficulté et que l'Allemagne est en récession pour la troisième année consécutive, ils suggèrent de passer de la production de voitures à une production de chars.
C'est un non-sens absolu, car les ménages n'achètent pas de chars. En produisant des armes et des chars, on crée intrinsèquement la pression nécessaire pour les utiliser ; autrement, l'industrie va à vau-l'eau. Ainsi, la militarisation de l'économie crée une pression permanente en faveur de la guerre. Cette guerre n'est pas destinée à être gagnée ; elle est conçue pour être continue, précisément parce que la paix menace les marges de profit de cette industrie. Le seul moyen d'atteindre cet état stable est un état de guerre permanent, ce qui est le modèle actuellement utilisé par Washington, avec ses bases à travers le monde et ses interventions sans fin. Ou Israël.
L'augmentation des dépenses militaires n'améliorera pas le niveau de vie. La production d'un char, d'une bombe ou d'un système de missiles n'apporte aucun avantage mesurable au reste de l'économie. Le mythe selon lequel l'industrie militaire crée de nombreux emplois est manifestement faux : un euro investi dans les hôpitaux crée 2,5 fois plus d'emplois qu'un euro investi dans les armes. Les milliards qui vont aux fabricants d'armes ne reviennent pas à la société, ils vont directement aux fabricants eux-mêmes.
Possibilités de mobilisation : le socialisme plutôt que la guerre
Le monde est en train d'être asphyxié par cette course « hallucinatoire » à l'armement. Cette spirale pourrait facilement se terminer par une guerre majeure avec d'innombrables perdants et très peu de gagnants. L'histoire nous enseigne que cette situation dangereuse ne peut être brisée que par des traités de désarmement mutuel, une diplomatie sobre et, surtout, un puissant mouvement international anti-guerre exerçant une pression par le bas.
Comme l'a judicieusement écrit Bertolt Brecht : « Si nous nous préparons à la guerre, nous aurons la guerre ». La réalité est simple : qui veut vraiment la paix doit se préparer à la paix, et non à la guerre. Dépenser des milliards pour la guerre alors que les populations n’ont pas accès à des besoins essentiels, c'est le monde à l'envers. Nous n'avons pas besoin de l'OTAN, mais de la paix.
La colère grandit au sein de la classe travailleuse, autant ici en Europe qu’aux États-Unis. Les gens ne se sentent pas écoutés, pas vus et pas représentés, et ils ont tout à fait raison de se sentir ainsi. Cette énergie doit être canalisée dans une vision positive du changement.Face à ces immenses défis, le désespoir peut être une tentation, mais ce n'est fondamentalement pas une option.
Certaines parties de la gauche sont spécialisées dans la création de dépressions. Elles organisent des réunions où, si vous n'étiez pas déprimé en arrivant, vous l'êtes assurément en repartant. Ce n'est pas de l'émancipation. L'émancipation, c’est permettre à la classe travailleuse de se sentir à nouveau bien.
Il est donc urgent que nous mobilisions le peuple. Certes, les temps seront difficiles. Mais nous n’obtiendrons pas la paix en cédant au dogme du réarmement et aux fétiches militaires d’aujourd’hui. Nous l’obtiendrons par l'instauration d'une nouvelle dynamique de pouvoir. L'histoire nous enseigne que ce ne sont pas ceux d’en haut qui mettent fin aux guerres et à l'armement, mais ceux d'en bas - ceux qui paient la facture des armes et qui sont les premiers à souffrir de la guerre, ceux dont les enfants envoyés au front.
Lorsque le mouvement ouvrier et le mouvement pacifiste se donnent la main et se renforcent mutuellement, le potentiel est énorme.
Les prémices de ces mouvements sont déjà visibles : sur le front de la mobilisation contre l'austérité imposée au nom d'une militarisation croissante, nous avons déjà assisté à de grandes mobilisations. Il s'agit notamment d'actions et de grèves en France en septembre et en Belgique, où 140 000 personnes ont manifesté dans les rues de Bruxelles le 14 octobre et où une grève générale inédite de trois jours est en cours de préparation pour les 24, 25 et 26 novembre.
Sur le front de la mobilisation contre la guerre, nous avons vu d’immenses mobilisations contre le génocide en Palestine : 250 000 personnes à Amsterdam, 110 000 à Bruxelles le 7 septembre (et bientôt le 16 novembre) et 100 000 personnes à Berlin. En Italie, il y a même eu pour la première fois une grève générale en solidarité avec la Palestine.
Notre mission est d'unir ces deux mouvements, de les développer et de les approfondir.Il est tout aussi important, camarades, d'avoir la certitude, en tant que parti de gauche, que l'avenir nous appartient. L'avenir ne peut être rien d’autre qu'une nouvelle société socialiste, une nouvelle société égalitaire, une nouvelle société écologique et démocratique. C'est le seul projet émancipateur possible.
Cela demandera du temps, des efforts, de la discipline et l'art de la stratégie et de la tactique. Mais c'est possible, si nous sommes patients, si nous développons la confiance au sein de nos mouvements, si nous investissons dans l'éducation et l'unité, et si nous osons parler avec la force de nos convictions.
Ce système, où de puissants monopoles imposent leur avidité et leur domination par la conquête, les guerres et une économie de destruction, ne peut offrir aucun avenir à l'humanité et à la planète. Comme nous l'a dit Rosa Luxemburg : « C'est la barbarie ou le socialisme ».
Merci, camarades.