Comment les Croates ont fait reculer leur gouvernement
En avril 2017, le gouvernement croate publie un « programme de réforme des pensions » qui va augmenter l’âge de la retraite de 65 à 67 ans et durcir les conditions des départs anticipés. Ce programme reçoit l’accord du Parlement. Mais pas celui des travailleurs, qui obligent le gouvernement à reculer. Récit d’une victoire. (photo : Ivan Blazevic, responsable de la campagne dans la ville de Crikvenica. Photo D.R.)
Le « programme de réforme des pensions » du gouvernement croate disait que pour assurer la viabilité du système des pensions, il fallait le réformer d’une part, en augmentant (progressivement jusqu’en 2038) l’âge du départ à la retraite de 65 à 67 ans et, d’autre part, en pénalisant les travailleurs partant plus tôt à la retraite : 0,3 % de pension en moins pour chaque mois de travail non presté avant les 65 ans. Cela correspond à une baisse de 18 % de pension (déjà faible) pour un travailleur partant à la retraite à 60 ans. Comme par hasard, ces mesures reflétaient celles « proposées » récemment par l’Union européenne.
Les syndicats se sont opposés dès le début à ces mesures qui, selon eux, ne répondaient pas au défi principal. A savoir, celui d’augmenter la proportion d’actifs par rapport aux pensionnés. La Croatie a en effet subi au cours des dernières décennies une désindustrialisation drastique au cours de laquelle de nombreux emplois ont été perdus. Afin d’obtenir son billet d’entrée dans l’Union européenne, le pouvoir a accentué sa politique de désindustrialisation en cédant les chantiers navals au privé et en misant sur des secteurs plus volatiles en terme d’emplois pour faire tourner son économie (déjà dépendante à 25 % du tourisme). Pour rendre durable le financement des pensions, argumentent les syndicats, il faut créer de nouveaux jobs, stables et bien payés, qui puissent être en mesure de financer les pensions.
Malgré les vives protestations syndicales, une loi adoptant les mesures du « programme de réformes des pensions» est votée par le Parlement croate en 2018 et entre en vigueur le 1er janvier 2019.
La riposte
En réaction, les trois plus grandes confédérations syndicales lancent, en front commun, une campagne : « 67 ans, c’est trop ! ». Leurs deux revendications principales : l’abaissement de l’âge du départ en pension à 65 ans et la diminution de la pénalité de la retraite anticipée de 0,3 % à 0,2 % par mois non presté.
Leur stratégie ? Forcer la convocation d’un référendum, que la constitution croate autorise, si et seulement si 10 % des électeurs signent une pétition qui l’exige, et dans un laps de temps de seulement 15 jours. Entre le 27 avril et le 11 mai 2019, il fallait récolter au minimum 373 000 signatures. Un défi gigantesque. Mais c’est finalement plus du double – 748 624 signatures pour être exact – qui est récolté. Une moyenne de 50 000 signatures récoltées chaque jour !
Explications d’Ivan Blazevic, syndicaliste dans le secteur du service et du tourisme, responsable de la campagne dans la ville de Crikvenica : « Nous avons investi massivement les marchés et les rues fort fréquentées des centres-villes pour faire signer les pétitions. Ce sont plus de 4 000 délégués syndicaux, militants et citoyens qui se sont mobilisés durant les deux semaines intensives de campagne. Ce fut une véritable course contre la montre, car nous avons fait face à un black-out médiatique durant la campagne. Le gouvernement a même mené une contre-campagne pour vanter les mérites de sa réforme, et ceci avec l’argent des contribuables ! Alors que notre propre campagne était financée avec les cotisations de nos membres... ».
La force du nombre
Mais les trois syndicats bénéficiaient d’un atout de taille : leur expérience de collectes de signatures massives en vue d’organiser des référendum. Comme celle de 2010 pour s’opposer à la modification de la Loi Travail qui remettait en cause les droits des travailleurs, et celle de 2014 contre la privatisation des autoroutes. A chaque fois, les syndicats ont été capables de récolter le nombre de signatures nécessaires. Les référendums de 2010 et 2014 n’ont même jamais été organisés. Le gouvernement a abandonné ses plans de réformes néolibéraux sans même passer par la case « isoloir ».
Après avoir vérifié la légalité des signatures, l’organisme chargé de la vérification a annoncé qu’il y en avait suffisamment. Tout comme pour les initiatives précédentes, le gouvernement a dès lors décidé de modifier la loi sans même organiser de référendum. Amer, le président du Parlement Gordan Jandrokovic a déclaré : « C’est la population qui a le dernier mot, mais il peut arriver qu’une bonne mesure adoptée par le gouvernement puisse être contestée par les citoyens. »
67 ans c'est trop
Les cinq revendications phares de la campagne « 67 ans c’est trop » ont été entérinées :
- le retour de l’âge de la pension à 65 ans (au lieu de 67)
- la pénalisation de 0,2% de salaire par mois de pension pris avant les 65 ans (au lieu de 0,3%)
- le droit à la prépension à partir de 60 ans et 35 ans de travail
- le droit à une pension complète à partir de 60 ans et 41 ans de travail
- un assouplissement des conditions de départ à la retraite pour les femmes.
Les syndicats restent vigilants
« Il s’agit de la plus grande victoire jamais acquise par les syndicats et les citoyens » ces dernières années, déclarait Mladen Novosel, président de l’Union des syndicats autonomes de Croatie, plus grande centrale syndicale du pays. « Nos milliers de membres qui ont participé à l’action et les centaines de milliers de citoyens qui ont signé sont une garantie qu’à l’avenir, nous serons en mesure de mettre fin à toute nouvelle tentative d’empiéter sur les droits des travailleurs. »
« C’est la quatrième fois que les syndicats, de concert avec les citoyens, ont réussi à empêcher l’adoption de mauvaises dispositions légales par une initiative référendaire. Chaque gouvernement doit savoir que si nous en avons besoin, nous le ferons à nouveau », a déclaré Kresimir Sever, président des syndicats croates indépendants.
Conclusion de Vilim Ribic, président de l’association des syndicats croates du secteur public : « Il est possible que des futurs gouvernements et parlements décident de réimposer les mesures que nous avons réussi à renverser. Nous leur disons qu’à l’avenir, nous ne consentirons pas aux mesures désavantageuses pour les travailleurs. Nous garderons ces 748 624 signatures comme gage de résistance, et nous saurons lutter pour protéger ce que nous avons gagné en 2019. »